Une association caritative qui entre dans le monde dangereux du fundraising et de l'humanitaire tend à perdre son identité originelle au profit de la « feel good attitude » que l'on retrouve dans les ONG internationales, de Greenpeace à Amnesty ou encore le CCFD.
Le contact avec le monde feutré des fundraisers caritatifs, qui pour la plupart sortent du même moule, l'embauche d'administratifs qui ont déjà une expérience dans d'autres organisations, tend à gommer les spécificités, à effacer ce qui ne passe pas bien dans une réunion professionnelle.
Comment un fundraiser bien mis pourrait-il présenter à ses pairs une campagne non consensuelle ou qui ne colle pas avec les normes d'acceptabilité ?
Au fond de lui-même un fundraiser français se demande : « Que vont-ils en penser à Libération ou aux Inrocks ? Qu'en pensera Pascale Clark sur France Inter ?»
Il en résulte une tendance au conformisme, comme en témoignent les campagnes des Scouts de France, qui se répand inexorablement.
De temps en temps, le client se rebiffe.
C'est ce qui s'est passé fin mai lors de l'Assemblée générale de Caritas Internationalis.
Voici comme le quotidien la Croix, bien fait, mais lui aussi aussi terriblement conformiste, présente les faits sous la plume de Frédéric Mounier à Rome. Pour une analyse plus proche des motivations du Vatican, lire le numéro du 4 juin 2001 de l'Homme nouveau.
Rome appelle les Caritas à un examen de conscience
Réunis à Rome du 22 au 27 mai pour leur Assemblée Générale internationale, les 165 Caritas à l’œuvre dans le monde sont appelées par le Saint-Siège à raffermir leur identité catholique.
C’est dans un climat tendu que s’est ouverte à Rome, dimanche 22 mai, l’Assemblée générale internationale de Caritas Internationalis. Depuis plusieurs mois, des tensions étaient perceptibles au sein de la galaxie des 165 Caritas dans le monde.
Cette confédération décentralisée, qui célèbre son 60e anniversaire, est l’un des tout premiers acteurs mondiaux dans la lutte contre les pauvretés, et la première ONG catholique. Soutenant 24 millions de personnes dans le monde, employant 440 000 salariés et 625 000 bénévoles, ces 165 Caritas, fédérées à Rome par Caritas Internationalis (CI), s’appuient chaque année sur des ressources, privées et publiques, de 5,5 milliards de dollars (3,9 milliards d’euros).
LA SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DÉSAVOUÉE PAR ROME
Cette galaxie a globalement mal vécu le veto mis par le Saint-Siège, le 15 février dernier, au renouvellement du mandat de Lesley-Ann Knight, actuelle secrétaire générale. Le Secrétaire d’État, le cardinal Tarcisio Bertone, avait alors écrit aux conférences épiscopales, chacune responsable de « sa » propre Caritas locale, pour leur faire part de sa décision, inédite dans l’histoire de CI, mais fondée en droit.
Le statut canonique de Caritas Internationalis, promulgué par Jean-Paul II le 16 septembre 2004, prévoit en effet cette possibilité, et confie au conseil pontifical Cor Unum, présidé par le cardinal guinéen Robert Sarah, le suivi de l’association.
Dès l’ouverture de l’assemblée, dimanche 22 mai, le cardinal hondurien Oscar Maradiaga, président sortant de Caritas Internationalis, a confirmé son soutien à L-A Knight, louant « son professionnalisme, sa foi profonde et son engagement envers Caritas », et affirmant, face aux très nombreux représentants de la Curie romaine présents : « La façon dont elle n’a pas été autorisée à se présenter a suscité du mécontentement au sein de notre confédération, surtout parmi les nombreuses femmes qui travaillent pour Caritas dans le monde. »
DES ENGAGEMENTS DES MILITANTS AUX FRONTIÈRES DE L’EGLISE
Cette Assemblée se trouve à la croisée des chemins. D’une part, Rome, s’appuyant sur des arguments théologiques et juridiques, l’appelle fermement à réaffirmer son identité catholique, son caractère propre, source de l’œuvre de charité. L’encyclique « Caritas in Veritate », signée de Benoît XVI, en est la boussole.
D’autre part, l’impératif de lutte contre les injustices économiques, sociales et politiques, qui constitue le quotidien des militants des Caritas, les conduit à prendre des engagements aux frontières de l’Église.
Faut-il promouvoir la charité ou lutter contre les injustices ? Marquer l’action caritative du sceau évangélique, ou l’envisager en partenariat avec tous les hommes de bonne volonté ? Ces termes s’opposent-ils ou se complètent-ils ? Autant de questions qui ont sous-tendu les débats, dès l’ouverture, dimanche.
"UNE CARITAS DANS L'EGLISE ET NON PAS À CÔTÉ D'ELLE"
Le cardinal Maradiaga a ainsi affirmé : « Nous n’avons pas un modèle de vraie Caritas, mais ces diverses organisations et communautés sont toutes appelées à être Caritas dans la vérité. Vous avez uni des personnes de différentes religions et convictions dans la communion des actions. Je suis fier de votre travail et de votre façon d’être Caritas. L’histoire du salut est l’espérance pour tous les opprimés. La justice est la première voie de la charité. »
En revanche, le cardinal guinéen Robert Sarah, président du conseil pontifical Cor Unum a lui, appelé à un « examen de conscience et à une analyse de la nature juridique et du fonctionnement de la Confédération », il a précisé : « Nos organismes de charité se situent dans l’Église et non pas à côté d’elle. Une Caritas qui ne serait pas une expression ecclésiale n’a pas de sens ni d’existence. L’Église ne peut être considérée comme un partenaire des organisations catholiques. »
Et il a conclu : « Le pain est important, la liberté est importante, mais la chose la plus importante de toutes est notre foi au Dieu d’Amour et notre agenouillement pour l’adorer et le servir en servant les pauvres. »
LE CARDINAL BERTONE VEUT "FAIRE CHARITÉ COMME LE CHRIST"
À sa suite, le cardinal Secrétaire d’État, Tarcisio Bertone, s’exprimant au nom du pape, a été très clair : « L’activité caritative de l’Église, comme celle du Christ, ne peut jamais se limiter à l’assistance aux besoins matériels, quelle qu’en soit l’urgence.Une assistance humanitaire qui ferait abstraction de l’identité chrétienne et adopterait une approche, pour ainsi dire, neutre, qui chercherait à plaire dà tout le monde, risquerait (…) de ne pas rendre un service à la hauteur de la pleine dignité de l’homme. (…). En résumé, l’Église ne doit pas seulement faire la charité, mais la faire comme le Christ. »
Ce soir, un nouveau président devrait être élu. Le cardinal Maradiaga, a priori, se représente. Mais le Français Denis Viénot, qui présida CI par intérim de 2005 à 2007, après une longue expérience au Secours catholique, dont il fut le Secrétaire Général, est également sur les rangs.
Le nouveau Secrétaire général sera ensuite choisi par le nouveau comité exécutif jeudi soir, parmi deux candidats : le Français Michel Roy, actuel directeur du plaidoyer international au Secours catholique, ou l’Américain d’origine tchèque Karel Zelenka, représentant de Catholic Relief Service (CRS, agence de développement de l’épiscopat américain) en Afrique du Sud.
Au-delà du slogan de l’Assemblée « Une famille humaine, zéro pauvreté », le véritable enjeu de l’Assemblée sera de mieux définir les relations entre l’association sur le terrain et les instances romaines de contrôle, avec toute la question de savoir où est mis l’accent : la charité ou la justice.
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